La création de variétés tolérantes à la sécheresse et au stress hydrique est une question qui préoccupe les sélectionneurs, notamment en blé et en betterave chez Florimond Desprez. La lutte contre la sécheresse s’inscrit dans une démarche agroécologique et actuelle. Alors, comment la sélection variétale peut-elle apporter des réponses à cette problématique ?
La sécheresse définit l’état d’un environnement confronté à un manque d’eau significativement long et important.
On peut distinguer trois types de stress hydriques :
Un épisode de sécheresse est souvent associé à une forte chaleur ou encore à une irradiation élevée, qui sont dommageables pour la plante. Le manque de pluie induit aussi une carence en nutriments, ou une toxicité des nutriments car ils ne sont plus assez dilués dans le sol.
Il faut cependant noter que la forte chaleur n’est quant à elle pas toujours associée à une sécheresse, notamment dans le cas de cultures irriguées. Mais les conséquences sont tout aussi néfastes, car un coup de chaud intense sur une plante bien irriguée tuera sa fertilité.
Tous ces éléments sont pris en compte dans le cadre de la sélection variétale, pour sélectionner des variétés plus résistantes à la sécheresse et aux effets associés à celle-ci.
Si on prend l’exemple du blé tendre, la sécheresse aura un impact différent selon le stade de développement de la plante.
Au moment du semis, au stade jeune plante, une sécheresse induit un manque de germination et une disparition de la plante. Le printemps est un moment clé pour le blé. S’il est sec, cela aura un fort impact sur le développement du blé et sur son rendement. Le moment de l’anthèse (floraison) est aussi un stade critique et ceci jusqu’au développement du grain. Un manque d’eau à cette période est très dommageable et aura encore une fois des répercussions sur le rendement du blé.
Arash Nezhadahmadi a établi en 2013 un tableau énumérant les divers effets du stress hydrique sur le blé :
Changements morphologiques | Changements physiologiques | Changements biochimiques |
– Plante de petite taille – Précocité – Réduction de la surface foliaire – Réduction du rendement – Extension des feuilles limitée – Diminution de la taille des feuilles – Diminution du nombre de feuilles – Réduction de la longévité des feuilles – Augmentation du ration racines/tiges – Réduction de la longueur totale des tiges – Plante moins haute | – Fermeture des stomates – Diminution de la photosynthèse – Augmentation du stress oxydatif – Modification de l’intégrité de la paroi cellulaire – Réduction du potentiel hydrique des feuilles – Diminution de la conductance des stomates – Réduction de la teneur en dioxyde de carbone – Diminution du taux de croissance – Baisse de la transpiration – Efficacité de l’utilisation de l’eau augmentée – Amélioration de la voie oxydase alternative – Teneur réduite en eau relative | – Réduction de l’efficacité Rubisco – Baisse de l’efficacité photochimique – Production d’espèces réactives oxygène – Dommages par oxydation – Défense antioxydante – Production d’acide abscissique – Diminution de la teneur en chlorophylle – Production de proline – Production de polyamines – Augmentation des enzymes antioxydantes – Production d’hydrates de carbone – Accumulation d’acide abscissique |
Dans le cas du blé, on peut déjà noter que les variétés les plus récentes sont globalement plus tolérantes à la sécheresse. Les sélectionneurs choisissent les lignées en fonction de leur comportement vis-à-vis des conditions climatiques. Comme un cycle de sélection dure entre 8 et 10 ans, cela permet de choisir les meilleures lignées sur différents critères, et notamment celui de la sécheresse si au moins un épisode de sécheresse se présente sur le temps de sélection.
Dans les publications scientifiques, on constate qu’il existe une multitude de gènes d’intérêt liés au stress hydrique. Pour autant, il y a en réalité peu de variétés naturellement tolérantes à la sécheresse. Se tourner vers des variétés exotiques est une piste de recherche à exploiter : par exemple, il existe des variétés australiennes qui présentent notamment un grand intérêt dans la résistance à la sécheresse, mais elles n’ont pas forcément le meilleur rendement ou ne sont pas adaptées à nos zones de culture. Ce matériel est cependant intéressant pour des croisements.
Le programme Breedwheat était un programme national sur 10 ans qui avait pour but de caractériser les bases génétiques du blé sur certains critères, notamment celui de la tolérance à la sécheresse. Cela a confirmé un constat déjà fait par de nombreux chercheurs : il n’y a pas qu’un seul gène responsable de la tolérance à la sécheresse. Ce ne sont pas moins de 20 régions chromosomiques qui sont impliquées !
Ce programme se poursuit dans le cadre des projets du FSOV, pour déployer ces connaissances plus concrètement.
Le cycle du blé est un cycle long, il y a donc plusieurs zones du génome impliquées à des stades différents du développement. Par ailleurs, en cas de stress hydrique, plusieurs fonctions de la plante sont touchées : son enracinement, sa surface foliaire, l’ouverture des stomates…
On identifie deux objectifs de recherche différents. Le premier est de cumuler les résistances à plusieurs stress car chaque gène a un effet plus ou moins important. Il y a de nombreux gènes à effet faible, il faut donc se focaliser sur les gènes à effets additifs en les combinant pour avoir un niveau de tolérance à la sécheresse plus élevé. En outre, il existe de nombreux facteurs de régulation des gènes impliqués dans cette tolérance. Le second objectif est d’identifier les stades où le stress hydrique a le plus fort impact et d’ajuster la sélection en fonction : par exemple, si le stress est plutôt présent en fin de cycle, post floraison, on va retenir les lignées qui se comportent mieux à ce stade en conditions de stress hydrique.
L’approche largement adoptée ces dernières années pour sélectionner des variétés de blé tolérantes à la sécheresse consiste à développer une stratégie d’évitement : on sélectionne du matériel dont la phase critique de maturation du grain ne coïncide pas avec une période de sécheresse fréquente au lieu de culture. Ces variétés arrivent à maturité plus tôt, et sont donc moins impactée par la sécheresse car elles ont dépassé le stade du développement quand celle-ci arrive.
Indirectement, les sélectionneurs cherchent à avoir des plantes avec un système racinaire plus développé et plus fonctionnel, et aussi à limiter au maximum l’évapotranspiration. Ils peuvent également essayer de créer une tolérance à la déshydratation en favorisant la fermeture des stomates, ou en ayant une feuille drapeau à orientation plus verticale pour limiter l’exposition aux rayons solaires.
Il y a donc plusieurs critères à analyser et plusieurs zones du génome à étudier dans le cadre de la résistance à la sécheresse.
Au-delà des croisements classiques, d’autres outils sont à disposition des sélectionneurs, notamment les Nouvelles Techniques Génomiques (NTG, ou NGT en anglais pour New Genomic Techniques). Cette technique très récente est une microchirurgie qui permet de modifier une séquence ADN pour voir l’effet de cette modification sur un caractère. Cela permet, par exemple, de confirmer ou infirmer le rôle des QTLs ou des gènes, comme ceux identifiés dans le cadre de BreedWheat. Le matériel issu de ces techniques est difficilement commercialisable à l’heure actuelle en Europe. Cependant, cela reste un outil parmi d’autres pour le sélectionneur, à utiliser à bon escient et avec modération.
La betterave est une plante d’été qui s’adapte plus facilement aux conditions de sécheresse. Toutefois, un fort stress hydrique provoquera le jaunissement de la plante et un moins bon rendement. Les recherches sont moins nombreuses chez les scientifiques car c’est une espèce moins largement cultivée. Chez Florimond Desprez, cette espèce étant très importante, nos programmes de sélection intègrent donc l’évaluation de ce critère.
Grâce aux nouvelles technologies comme les drones, on peut effectuer un phénotypage massif et rapide et repérer les individus les plus adaptés à la sécheresse. Les images captées à différents stades de développement des betteraves sont ensuite analysées pour reconnaître les plantes présentant une tolérance.
Les mêmes procédés qu’en blé (NGT notamment) sont mis en place pour identifier les gènes d’intérêt face au stress hydrique et créer de nouvelles sources de tolérance.
En conclusion, il est évident que la sélection variétale sera une des réponses à la problématique du stress hydrique. Grâce aux avancées technologiques, il est désormais possible de créer une sécheresse fonctionnelle pour effectuer des tests grâce, par exemple, à des serres mobiles. Il est également possible de tester le matériel prometteur dans des lieux où ce fléau est relativement fréquent et en contre-saison, dans d’autres pays ou d’autres hémisphères.
Il ne faut pas oublier que le choix de la bonne variété doit s’inscrire dans une démarché agronomique plus globale. Par exemple, le précédent cultural peut avoir une incidence sur la tolérance à la sécheresse. Dans le cas du blé, un précédent cultural de pois peut avoir un effet positif.
La sécheresse et le stress hydrique sont des problématiques très actuelles, et sont à ce titre devenues des priorités du monde scientifique et des sélectionneurs. Il semble cependant plus judicieux de chercher à créer des variétés adaptées à un terroir particulier. Beaucoup de facteurs extérieurs peuvent avoir une incidence sur la tolérance à la sécheresse. La variété miracle n’existe pas !